Du personnel non diplômé, et alors ?
L’arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil provoque cet été un large tollé dans le secteur.
Depuis quelques semaines, je lis les mêmes gros titres, tous aussi affolants pour les familles, les pro, que les partenaires.
Je vais, dans cet article, me positionner à contre-courant, pour modérer les discours.
Du personnel non diplômé dans les crèches
Rien de nouveau dans le secteur puisque la réglementation autorisait le recrutement de non diplômés dans les crèches. En effet, un ratio imposait de respecter 75 % de diplômés et CAP Petite Enfance / 25 % des autres qualifications de la liste du personnel d’EAJE, y compris des personnes sans qualifications, diplômes ou expérience auprès des jeunes enfants (cf art 3 de l’arrêté du 26 décembre 2000, abrogé par le présent arrêté).
J’en ai toujours eu dans les différentes équipes que j’ai accompagné. Et je n’ai jamais vu où était le problème. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas le diplôme qui fait le professionnalisme !
J’ai été témoin à plusieurs reprises de personnes non diplômées qui portaient en elles un talent pédagogique. Leur réflexion, leur posture, leur pratique auprès des tout-petits étaient naturelles.
Un exemple : Julie, BTS tourisme qui n’avaient jamais été en contact avec des enfants, me bluffa lors de son entretien de recrutement. Puis, lors des réunions d’équipe, elle ne faisait qu’envoyer du lourd et là, je me disais que j’avais une personne qui en avait sous la pédale ! Lors de son entretien professionnel, nous avons évoqué ses projets : elle voulait à terme devenir EJE mais préférait y aller petit à petit en commençant par un concours d’AP. Là, je l’ai invité à ne pas perdre de temps dans 2 cursus de professionnalisation et que je la sentais d’ores et déjà prête pour se présenter aux concours d’éduc. Et bien figurez-vous que sur les 3 écoles où elle s’est présentée, elle les a toutes validées et est même sortie 1ère de concours dans l’une d’elles… Nous l’avons gardé au sein de l’équipe en alternance et elle est passée de non-diplômée à une super Éducatrice de Jeunes Enfants.
C’est une question de personne, et donc de recrutement. Déjà s’assurer d’une certaine “vocation”, dans le sens de l’envie d’accompagner les enfants et de savoir y mettre du sens. Et puis, de rechercher des profils qui ont des traits de caractère (appelés métaprogrammes en Programmation Neuro Linguistique) qui faciliteront l’apprentissage et l’intégration. Pour ceux qui ont suivi mes formations, je parle par exemple des métaprogrammes ‘référence externe’ ou encore ‘en différences’.
À l’inverse, j’ai rencontré des diplômés qui selon moi, n’étaient pas à la hauteur des enfants et du poste en crèche. N’avez-vous jamais croisé des stagiaires de formation Petite Enfance qui ne vous semblaient pas être au bon endroit ?
Les diplômes restent fondamentaux
Bien sûr, je suis en même temps très attachée à nos diplômes. Ils ne font pas tout, parce qu’encore une fois, c’est une question de caractère, d’identité professionnelle, mais sans eux, il manque la solidité de la réflexion. Ne pas savoir sur quoi s’appuyer, si on est dans le juste, affaiblit la confiance et l’estime de tout professionnel.
Ce qui manquait aux personnes talentueuses avec qui j’ai travaillé, c’est tout le référentiel pédagogique, éducatif, psychologique. C’est ce qu’apportent les formations professionnelles que je revendiquerai toujours mordicus !
La formation initiale est-elle suffisante ?
Indispensable mais elle n’est pas une finalité. Le diplômé Petite Enfance, à la sortie de son cursus est pour ma part, encore loin du professionnel aguerri (là encore, comment peut-on oser confier la responsabilité de structures à de jeunes diplômés sans expérience – un non sens total !). Il lui manque la formation par le terrain. Celle qui vient déboulonner nos utopies, notre cadre de référence et bien souvent, la chute fait mal entre ce qu’on a appris et ce qu’on va pouvoir appliquer.
Long processus qui nous fait chavirer entre devoir lâcher prise, s’adapter et à la fois conserver nos étoiles pédagogiques vers lesquelles on veut tendre.
Pierre Moisset dans son très intéressant ouvrage – Accueillir la petite enfance : le vécu des professionnels – exprime “on ne devient pas professionnel d’accueil de la petite enfance tout seul, mais par l’inscription dans une réflexion collective. Et on ne le devient pas non plus par la magie d’une vocation ou d’un diplôme, mais au cours d’un processus entretenu”.
Alors, oui, je me réjouis que la réforme des modes d’accueil, impose la tenue de séances d’analyse de la pratique professionnelle. Mais pourquoi ne pas être aller plus loin, quand on va sur ce chemin. Pourquoi ne pas imposer un minimum de formations professionnelles. Comment peut-on se renouveler dans sa pratique, réfléchir sur ses habitudes après tant d’années d’exercice ? Cette absence d’obligation est un comble pour moi.
Mais de quel diplôme parlons-nous ?
Si je comprends ce qui se dit entre les lignes, il n’y a pas de problème à estimer qu’une TISF, une aide médico-psychologique, une AVS, une travailleuse familiale sont des professionnelles Petite Enfance, simplement parce qu’elles sont dans la liste et qu’elles ont un diplôme ?
Où est leur spécificité Petite Enfance ? Que connaissent-elles des enfants de moins de 6 ans, de la vie en collectivité, des projets éducatifs, de l’accompagnement des familles ?
Là encore, faisons le distingo entre le diplôme et le professionnel car dans cette liste, vous aurez certainement des exemples de personnes qui ont la fibre et sont de super pro, tout comme les “non-diplômés” !
Pour moi, si nous voulons décrier quelque chose, alors soyons cohérents et rejetons de la liste les diplômes ou qualifications qui n’ont rien à voir avec le travail dans la Petite Enfance.
Sauf que...
Sauf que nous avons une réalité : le secteur des EAJE manquent cruellement de personnel. La pénurie est bien là et touche tout le pays, tous les types de crèches, tous les statuts.
Le gouvernement essaie tant bien que mal de combler les trous. Cette fameuse liste allongée par l’arrêté du 18 décembre 2018 et assouplie par celui du 29 juillet 2022 en est le témoignage, sans compter le recul du ratio à 40/60 %.
Mais avant de voir le fruit du travail du comité filière petite enfance (mon dernier espoir d’un rebond dans notre secteur), l’urgence est là. Des crèches réduisent leur amplitude horaire, ferment des unités et surtout, les professionnels en place s’épuisent. Tout le monde est à bout de souffle. Il fallait donc une réponse de dépannage de nos instances.
Dépannage pour conserver les modes d’accueil ouverts mais surtout pour soulager les équipes.
Pour une fois, un soupçon d'ambition ?
Oui, je suis peut-être la seule (j’assume) à estimer que cet arrêté contient un peu de qualitatif, en tout cas sur le sujet des dérogations.
Revenons en arrière, les 25 % de personnel sans qualifications devaient simplement bénéficier de “mesures d’accompagnement permettant leur adaptation à l’emploi, définies et assurées par le gestionnaire de l’établissement ou du service”. Donc aucun réel engagement imposé (cf art 6 de l’arrêté du 26 décembre 2000).
Là, au contraire, cet arrêté déploie de façon très détaillée des conditions pour le recrutement de ces personnes, au travers de 2 articles. Des conditions de recours, à la formation en passant par des bilans, la mise en route de ces professionnels est désormais encadrée. De plus, l’arrêté limite à 15 % (contre 25 % aupravant) les personnes bénéficiant de ce dispositif. Et pour finir, elles ont l’obligation au cours de leur 1ère année de bénéficier d’une formation diplômante ou certifiante.
Nous pouvons donc reconnaître qu’il y a aujourd’hui un cadre et une base d’accompagnement demandés. Pour moi, on s’oriente donc vers un peu plus de qualité qu’avant, sur ce sujet.
Dommage qu’on en impose pas autant aux diplômes / qualifications non spécifiques à la Petite Enfance de la fameuse liste de l’arrêté…
Ce qui pèche : les moyens !
J’ai envie de dire : comme d’hab ! Toujours ce problème de moyens.
D’un côté le gouvernement demande plus d’accompagnement de ces personnes et d’un autre, c’est sur les équipes en place que cela vient (entre autres) se cumuler à leur travail au quotidien, déjà suffisamment exigeant.
Accueillir un nouveau collègue provoque déjà des turbulences dans le sens où il faut que chacun doit apprendre à se découvrir, travailler ensemble et se faire confiance. Mais en plus, le personnel va avoir en charge l’accompagnement des personnes non qualifiées. En soi, cela peut être une bonne chose puisque l’équipe formera selon sa méthode de travail, ses valeurs.
Mais sur quel temps ? Avec quelle reconnaissance ? Il est fort regrettable de reporter à nouveau sur les équipes et direction les manques de notre société : les centres de formation. Alors, si on demande aux équipes de former, tuteurer les nouveaux, on pourrait estimer que nous sommes dans le cadre de la formation et en appeler à des financements.
Je vous donne un exemple : Anaïs, mon assistante administrative, accompagne Emma, apprentie. À ce titre, l’OPCO, lui octroie une prime de tuteurat en compensation et reconnaissance de sa mission.
Pourquoi compter encore sur les bonnes poires des crèches, qui vont le faire parce qu’on ne peut plus s’en sortir avec ce manque de personnel et de prévoir ce type de reconnaissance, de valorisation dont les professionnels manquent tant ? Pourquoi ne pas penser aussi à leur propre formation ? de tuteur mais aussi et fondamentalement sur leurs besoins de formation individuels…
Revoyons également le financement des structures pour permettre enfin des conditions salariales dignes du travail, de la mission de chaque professionnel accompagnant les enfants…
Par cet article, je tenais, non pas à justifier et cautionner la baisse du niveau de qualifications dans les structures d’accueil du jeune enfant, mais plutôt d’éviter un accroissement de la morosité. Nous n’avons pas besoin de cela et il y a suffisamment de points sur lesquels nous devons nous battre pour garantir la qualité d’accueil des jeunes enfants mais également la qualité de vie au travail des professionnels.
En préparant ma newsletter pour informer de la publication de cet article, je visualise la 1ère citation de mon stock et je tombe sur celle d’Einstein.
Amusant coup du hasard… je vous la partage aussi ici :