Génération COVID
La situation actuelle me questionne beaucoup sur l’impact de cette nouvelle société que les enfants vivent dans une période si cruciale pour leur développement. Je me demande si nous observerons dans plusieurs décennies une génération fondamentalement différente des précédentes.
Le stress
Dans un climat propice à la peur liée au virus et excessivement relayé par les médias, les jeunes enfants, que l’on sait être des éponges, baignent dans cette émotion généralisée socialement. Bien sûr, de nombreuses personnes font le choix de ne pas se laisser emporter dans la peur mais je parle de ce qui se vit sociétalement. Les découvertes des neurosciences affectives et sociales ont prouvé les effets délétères du stress, ou plutôt de son hormone – le cortisol – sur le développement du cerveau, ralentissant sa maturité.
Ce stress, avant même d’arriver au monde, les bébés 2020 ont pu le ressentir in utéro au travers des émotions de leur maman : accoucher seule avec un papa interdit de salle d’accouchement, ne pas avoir la joie de présenter son nouveau-né à ses plus proches, pouvant faire naître également de la colère, de la tristesse, de la déception de ne pas vivre ce moment si important dans une vie, comme les parents pouvaient le désirer.
Ce désir est aussi un sujet fondamental : lors du confinement, les IVG ont été empêchées. Ce droit au choix de poursuivre une grossesse a été retiré pendant 2 mois. Ici le sujet n’est pas de se positionner pour ou contre l’avortement. Il est simplement de se dire que certaines mamans ou certains papas, pour des raisons qui leur sont légitimes, n’ont pu exercer ce droit, voire ce devoir (si l’on pense que les bonnes conditions pour accueillir un enfant ne seront pas au rendez-vous). Cela signifie qu’il sera important d’avoir en tête que chez les bébés 2021, certains seront concernés par cette situation. Nous aurons sûrement plus de bébés non-désirés qui sont venus au monde, alors que les parents avaient jugés que ce n’était pas bon pour eux et leur bébé. Nous aurons des enfants qui seront finalement très bien accueillis parce que les parents ont finalement accepté la situation et cet enfant. Il sera aimé, choyé comme tous les autres qui étaient désirés, sauf que la case loupée de l’IVG fait partie de l’histoire de cet enfant et de ses parents. En tant qu’accompagnant, la vigilance sur ces histoires de vies plus fréquentes qu’à l’accoutumée sera un moyen supplémentaire pour accompagner les familles. Pour certains, tout ira bien, pour d’autres, il pourrait y avoir des problèmes d’attachement, des sentiments de culpabilité d’avoir voulu avorter qui pourront s’exprimer directement par les parents, ou indirectement par le comportement des enfants.
Stress de la naissance également pour les bébés de l’automne 2020. Avec de mamans contraintes et forcées d’accoucher masquées. Des témoignages poignants de sensation d’étouffer, d’être au bord du malaise, d’en vomir… comme si un accouchement était une activité facile, style balade dans un parc. Ces maltraitances obstétricales sont incroyablement impensables, et pourtant bien réelles dans de nombreuses maternités. Et ce bébé privé de ce peau à peau y pensent-ils aussi ? Les 5 sens, qui sont notre moyen d’être en contact avec le monde selon la PNL, sont en éveil et encore plus dans ces moments d’accouchement.
En écrivant cet article, me revient d’un coup cette réflexion que j’avais avancé il y a plus de 20 ans, dans l’écriture de mon mémoire d’EJE, où je m’étais arrêtée sur ce moment de l’accouchement que je nommais comme un moment où mère et enfant – tout comme père et enfant – faisait connaissance, ou plutôt co-naissance. Ce préfixe co- désignant la simultanéité, m’avait amené a penser l’accouchement comme la naissance à la fois et en même temps de l’enfant mais aussi de son parent (en tant que père ou mère). Et du coup, naissance différée pour les papas qui n’ont pu vivre ce temps magique et fondateur de co-naissance.
Revenons à ma pensée sur la sensorialité animale (oui nous faisons partie de ce règne) si fondamentale aussi pour apprendre à se connaître : à quoi ressemble t-il ? (cela fait des mois que le suspense dure !), découvrir son odeur (pour vous faire une confidence personnelle, je me souviens de la surprise que j’ai ressenti d’humer mon bébé et de trouver qu’il sentait le pain au chocolat ! Peut-être les effets secondaires de la péridurale ou que la redescente d’énergie après les poussées m’ont fait légèrement délirer, mais ils avaient le mérite de jouer aussi un rôle dans l’attachement sensoriel à mon enfant, j’en suis sûre), toucher sa peau, entendre sa respiration ou ses petits bruits… bref autant de petites choses mais qui sont si fondamentales. C’est d’ailleurs ce que regrettent de ne pas avoir pu ressentir les mamans lors d’accouchements compliqués et médicalisés où le contact n’a pas été immédiat.
Et ce bébé ? Quelle est sa 1ère expérience de vie ex-utéro après avoir vécu lui aussi une activité intense qui n’est toujours pas de l’ordre de la promenade du dimanche… Découvrir une ½ maman, sentir un tissu rêche sur son visage qui n’a pas l’odeur maternelle, une voix feutrée… Au secours… Frédérick Leboyer doit se retourner dans sa tombe, lui qui défendait une naissance sans violence, dénonçant des conditions d’accouchement et d’accueil des nouveau-nés finalement moins violentes en 1974 que celles d’aujourd’hui…
Et ces masques, ils vont continuer à en voir…
Les masques
Sujet d’une mobilisation des professionnels de la Petite Enfance, entre-autres, le masque est certainement ce qui pose le plus de questions sur l’impact dans le développement de l’enfant. Je ne développerai pas ici ce que d’autres ont déjà très bien relayé sur le sujet. Je me joins à ce mouvement en faveur d’autres équipements (mentonnières, visières) pour le bien de l’enfant (et celui des professionnels, puisqu’il est intimement lié à celui des enfants…).
Je me questionne bien évidemment :
- Sur le développement du langage (comment savoir comment faire bouger sa bouche, sa langue pour prononcer comme nous ; comment bien entendre les phonèmes pour pouvoir les répéter, … ?) ;
- Sur la compréhension de nos paroles (nous expérimentons chaque jour en tant qu’adulte des difficultés de compréhension de ce que l’interlocuteur nous dit) ;
- Sur les interactions sociales (les adultes amplifient les mimiques, les expressions non-verbales pour mieux se faire comprendre – surtout pour les nourrissons qui n’ont pas encore la vue assez développée pour remarquer le plissement de nos paupières par exemple, alors que la bouche montrera de façon plus grosse un sourire… ; notre expression faciale est aussi l’un de nos outils qui permettent d’apprivoiser les émotions) ;
- Sur la sécurité affective (comment se sentir en sécurité quand on ne sait pas qui on a en face ? un 1/2 visage est insuffisant. Je me sens à chaque fois déconcertée – et pourtant avec mes yeux et ma réflexion d’adulte – de refaire connaissance avec des personnes avec qui je suis depuis 3 heures en formation quand arrive le temps du repas; j’entends de nombreux témoignages de réaction des petits en crèche : un qui se met à pleurer car il ne reconnait pas la professionnelle qui retire son masque pour boire ; un autre qui pourtant dans la relation avec l’adulte, arbore un énorme sourire quand le masque tombe… tout cela ne sont pas des preuves scientifiques mais de la science empirique : celle basée sur l’expérience du terrain, sur l’observation – outil phare de Maria Montessori qui a découvert 60 ans avant les neurosciences ce que cette discipline découvre par imagerie cérébrale aujourd’hui…) ;
- Sur son développement immunitaire (enfants comme adultes, nous nous protégeons comme jamais du coronavirus mais pas que. Nous nous surprotégeons de tous les virus. Ils n’entrent plus dans nos narines (à quoi nous serviront alors les poils de nez…attention à la mutation de l’espèce humaine !), non plus par nos mains désinfectées. De quoi s’interroger sur l’affaiblissement mondial de nos défenses immunitaires, si précieuse pour notre santé… D’ailleurs une puéricultrice me confiait lors d’une formation que cette réflexion avait été menée il y a 20 ans en arrière dans les services de pédiatrie et de maternité, amenant à privilégier la relation humaine non-masquée pour le bien-être de l’enfant, même pour des enfants avec de lourdes pathologies…)
- Sur sa socialisation, bien évidemment.
La socialisation
En pleine découverte et apprentissage de notre modèle culturel, de nos normes sociales, de nos codes symboliques, de nos règles de conduite, de nos valeurs, les très jeunes enfants partent sur des bases qui ne sont pas les nôtres. Ce n’est pas cela à quoi ressemble notre vraie vie.
Pourtant c’est celle qu’ils intègrent et sur laquelle ils construisent leurs connexions neuronales. Si l’épisode avait été bref, l’impact n’aurait pas été si profond. Les neuroscientifiques l’affirment : c’est dans l’expérience répétée que s’impriment les fondations du cerveau humain. Et cela m’inquiète.
Un groupe d’assistantes maternelles en analyse de pratiques m’exprimaient post-confinement leur désarroi d’aller à l’extrême inverse de leurs projets d’accueil comme par exemple sur la valeur du partage, transformée en interdiction de se passer les jouets entre-eux.
Je me faisais la réflexion lors de ma dernière conférence où était présente une maman avec son bébé d’à peine 6 mois. Entouré de gens masqués, à qui il était demandé de s’éloigner quand ils prenaient place dans leur siège, après s’être soigneusement désinfecté les mains. Et je pensais : mais c’est ça la normalité du monde pour cet enfant ! Un monde où l’autre est une menace et où nous sommes aussi un danger, notamment pour les plus anciens. Ce sont des normes que nous imprégnons aux petits, malgré nous.
Aussi, soyons collectivement attentif, quand reviendra le temps de notre liberté, de nos contacts familiaux et sociaux, de notre vie d’avant en bref, car pour eux, nous les mettrons dans un monde qu’ils ignorent : d’avoir plein de visages complets, de voir les rapprochements physiques (ne vous arrive-t-il pas aujourd’hui devant la télé d’avoir une réaction d’alerte à voir des gens qui sont proches dans un film ou une émission – tournés avant la pandémie ?). Il nous faudra alors les accompagner, peut-être les rassurer sur le fait que l’autre n’est pas dangereux et qu’être humain, c’est avoir des relations sans barrière. C’est être un être de relations.
Alors tout cela est bien beau, mais nous avons compris que ce n’est pas pour demain. Donc en attendant après demain, regardons les points positifs que nous apporte cette situation : plus d’hygiène dans les endroits publics (ce n’était pas du luxe dans certains établissements comme les toilettes scolaires par exemple) ; réaliser ce que nous avons quand nous en sommes privés (de liberté, de contacts, de sécurité) ; réadapter ce que nous ne réfléchissions plus dans l’accueil des enfants et des familles ; avoir finalement installé de nouveaux rituels sécurisant toujours plus les enfants (le lavage de main à l’arrivée) ; ne plus obliger les enfants à faire des bisous et j’en oublie tant d’autres… dont la capacité extraordinaire des enfants qui, j’en suis sûre, nous étonneront et nous apporteront sans doute de nouveaux apprentissages.